D’après ce que rapportent plusieurs voix du Varalind, Boniface, le hardi, Mercenaire, aurait été aperçu au bord du Gouffre de Bilskirnir.

On dit qu’il ne s’y contente plus de creuser.
Il invoquerait des forces maléfiques, debout sur la pierre froide, murmurant des mots que personne n’arrive à reconnaître et qui ne ressemblent à aucune langue des royaumes connus.

Certains affirment que, lorsque Boniface lève les bras vers l’ouverture, un souffle noir remonte du gouffre et étouffe les torches alentour.
D’autres jurent avoir vu danser sur la paroi des ombres qui n’étaient pas les leurs.

Rien n’est confirmé, mais tous répètent la même phrase :
“Boniface appelle quelque chose… et quelque chose répond.”

Le Gouffre de Bilskirnir, dit-on, n’a jamais résonné aussi bas.

On raconte qu’hier, au crépuscule, une silhouette royale aurait été aperçue à Bilskirnir.
Certains jurent que c’était le Roi Xira de Beaton en personne, venu sans escorte officielle, presque à la dérobée.
D’autres affirment qu’il n’était qu’un homme lui ressemblant… mais le harnachement de son cheval, disent-ils, ne laisse guère de doute.

La rumeur dit qu’il aurait longuement observé le gouffre, sans parler, immobile comme une statue.
Un garde jure avoir vu le vent s’arrêter autour de lui, comme si l’air lui-même retenait son souffle.

On murmure même qu’en se penchant vers la faille, Xira aurait reculé d’un demi-pas.
Pas par peur, non.
Plutôt comme quelqu’un qui reconnaît quelque chose… et qui en comprend la portée.

Une femme du bourg assure avoir entendu l’un de ses cavaliers déclarer, en remontant à cheval :
“Le roi sait maintenant que ce qui bouge là-dessous n’est pas de ce monde.”
Personne ne sait si c’est vrai.
Mais depuis que cette phrase tourne, les habitants ferment leurs volets avant la nuit.

Dans les tavernes, les versions se multiplient :

certains disent que Xira aurait senti un souffle s’échapper du gouffre,

d’autres qu’il aurait posé sa main contre la paroi et retiré ses doigts gelés,

d’autres encore prétendent qu’il serait parti pâle, le regard ailleurs, comme s’il avait vu une réponse à une question jamais posée.

Aucune version ne concorde…
sauf une :
le Roi Xira aurait murmuré que “le gouffre de Bilskirnir n’est pas un creux, mais une ouverture”.

Une ouverture vers quoi ?
Les rumeurs deviennent floues à ce stade.
Chacun a sa propre théorie, plus sombre que la précédente.

Ce qui est certain, disent les gens du Varalind, c’est que depuis la visite de cet homme — roi ou simple sosie, nul ne le sait — les torches autour de la faille s’éteignent plus souvent…
comme si quelque chose comprenait que l’on commence à parler de lui.

Il se dit que Kald se trouve soudainement bien silencieux depuis que les seigneurs de l'Est ont décidé de se concentrer sur les affaires intérieures de leur royaumes.

Il se dit qu'en matière littéraire comme en peinture, en musique, en sculpture ou en danse, les vrais artistes sont hélas trop rares. Nombreux sont à peine potables voire médiocres... Et quoi que des goûts et des couleurs il ne faille disputer, certains sont véritablement à chier.

D'autres incapables de produire quoi que ce soit, mais ayant malgré ce une très haute opinion d'eux-mêmes ont heureusement trouvé un autre créneau pour tenter d'exister. En bons parasites ils vivent aux dépends de leurs victimes. On appelle ça des critiques.

On raconte que la pénurie de barde et conteurs fait des ravages en Kald.
Le métier gangréné par la propagande et la misère n'attire plus, les anciens se seraient tous reconvertis en traducteurs, bouffons ou miliciens pour les plus malchanceux.
Il n'y aurait aujourd'hui que des enfants, tétant encore le sein de leur mère, pour répandre de pitoyables rumeurs au sujet de jouets en bois, pipi et caca.